Une grosse centaine de courageux se massaient mystérieusement près d'une entrée secondaire du Musée d'Orsay dimanche. "Ah, vous venez pour le concert à 15 heures?" me demanda un gardien hilare.

Après quelques minutes d'attente, la quasi-totalité de la petite compagnie s'installa, confortablement, le moral nécessairement au beau fixe, afin d'assister à la création française du second quatuor à cordes de Morton Feldman. L'oeuvre qui date de 1983, est fort peu jouée, et pour cause. Il faut trouver un quatuor prêt à jouer les 3348 mesures d'une oeuvre de cinq heures sans interruption. Et également le public qui va avec. La FNAC, elle s'est fait sa religion. Le coffret de 4 CD chez Hat Hut est intitulé "Feldman String Quartet II". L'étiquette du vendeur, elle, porte la mention "Feldman quatuors vol II".

Au bout d'une heure, le violoncelliste ouvrit sa bouteille d'eau entre deux coups d'archet, imité tout au long de l'oeuvre par ses collègues, qui prenant un petit gâteau, qui un bout de banane...

Au bout de deux heures, les abandons ont commencé. On comprend bien que des spectateurs lassés par deux heures d'une musique tranquille et en aucun cas spectaculaire peinaient à s'imaginer rester plus de trois heures supplémentaires.

A mi-parcours, la fatigue de la brève nuit fit son apparition. Un bref assoupissement réparateur fut vite interrompu par l'un des très rares fortissimos de la partition.

Ensuite? Deux grandes heures d'extase totale, de sensibilité à la moindre des infimes nuances de l'oeuvre. Un peu comme des bagatelles de Webern en 50 fois plus long. Une expérience extraordinaire, dans tous les sens du terme. Et quel tristesse à la fin, lorsqu'à 20 heures la musique ralentit encore avant de s'arrêter. Ils ne pouvaient pas continuer encore une petite heure de plus?

C'est décidé, j'y retourne le 21 novembre. On y jouera entre autres Triadic Memories, oeuvre pour piano du même Feldman, qui ne dure, elle, qu'une heure quarante.