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Agrafes

Encore une histoire bien dans le ton du sous-titre de ce blog.

Quand j'ai commencé à avoir une activité salariée (note à moi-même : je suis très fier de ce racourci que je viens de trouver pour éviter "travailler" qui est très inexact, "avoir une activité rémunérée", parce que ça exclut mes travaux de stagiaire et mes articles publiés dans la presse à grand tirage avant que je ne sois en âge d'encaisser les chèques qu'on m'envoyait, ou "me rendre au bureau", trop réducteur), on m'a remis quelques outils de travail. Pas de stylo, parce que 'jai toujours mis un point d'honneur à écrire avec un joli stylo plume. Quelques crayons, parce qu'on les perd souvent, un bloc-notes, des trombones, une règle, et surtout une agrafeuse.

Le remplissage d'une agrafeuse est un cérémonial que je pensais à tort avoir déjà abordé ici, qui n'est dépassé en grandeur que par deux autres pratiques : le remplissge d'un stylo plume à pompe (tellement plus raffiné que les cartouches, et au passage le flux inversé nettoie le conduit), et le démontage d'agrafeuse que je ne pratique pas mais qu'une haute personalité voisine est, paraît-il, capable de déployer pendant une heure si une réunion qu'elle anime ne la stimule pas intellectuellement de façon suffisante.

Pour remplir une agrafeuse, il faut avoir des agrafes. Et quand j'ai commencé dans mon activité salariée (nous y revoilà), on m'a remis, en plus d'une agrafeuse que est actuellement sur mon bureau, une boîte d'agrafes qui se trouve dans mon tiroir, en compagnie de trombones, déchets en tous genres ainsi que de l'intégralité des cartes de visites qui me restent de tous les postes que j'ai occupés. Cette boîte a une valeur symblique importante, parce qu'elle est d'une dimension considérable. J'ai été doté, comme on dit, de 5000 agrafes. Cinq mille! Diantre, je ne suis pas secrétaire et ne passe pas ma vie à agrafer des documents ensemble. Je vis dans les dossiers, mais ne les fais pas tenir ensemble avec des agrafes. D'abord parce que l'essentiel est dans ma tête, l'accessoire sur mon pécé, et le reste dans des chemises en carton ou papier selon l'épaisseur. Et ensuite parce qu'une petite agrafe assemble une petite épaisseur de papier. Du coup cette immense dotation m'a paru inépuisable. 5000 agrafes, c'est assez pour une vie, me disais-je naïvement.

Mais à force d'attacher des documents de deux ou trois pages, le stock baisse petit à petit. Oh, c'est un phénomène très lent, mais inexorable, et pour la première fois depuis mes débuts, je vois le fond de la boîte. Il en reste 900. Que ferais-je quand la boîte sera vide? La question n'est pas pratique, puisqu'on m'en donnera d'autres. Mais à la limite, ai-je bien envie qu'on m'en donne d'autres, ce qui serait me condamner à travailler encore une durée équivalente. Chose amusante : au rythme moyen observé, ça m'amènerait dans un âge proche de la retraite, à supposer que la destruction frénétique de notre pays à laquelle on se livre actuellement ait conservé un sens à ce terme.

Non, il s'agit d'autre chose. N'est-ce pas un signe? Ce fond de boîte qui me rappelle le temps incroyable que j'ai passé dans mon activité actuelle avec une satisfaction très variable n'est-il pas un signal, un rappel qu'il existe autre chose? Que la seconde boîte, il faudra que je la veuille et non qu'on me la donne par habitude? Le liberté est-elle au fond de la boîte?

Je vous laisse, j'ai une famille à la maison.

Ecrit par schlopotok, le Mardi 30 Mars 2010, 20:19 dans la rubrique La vie, son oeuvre. L'oeuvre, sa vie.

Commentaires :

Chouveyback
31-03-10 à 10:46

5000 agrafes

Tu sais que ça fait peur, ton histoire !

 
sarah-k
31-03-10 à 10:47

5000 agrafes

ça m'embête un peu de m'appeler Chouveyback !

 
schlopotok
31-03-10 à 12:37

Re: 5000 agrafes

Il ne faut pas avoir peur, je pense. Je n'ai pas dit que la vie s'arrêtait à la fin de la boîte. Disons que c'est un rappel que le temps passe, et que ce qui paraît une éternité arrive à son terme au bout d'un certain temps (oui, je sais, Desproges). Mais il y a une vie après cette boîte. C'est plutôt là que les choses deviennent préoccupantes, du moins pour moi : saurai-je en faire autre chose que ce que j'ai fait pendant les 4100 premières agrafes, ou me laisserai-je refourguer une nuovelle boîte avec les 20 ans de boulot plan-plan qui vont avec?

Un bon ami, que vous connaissez, qui donne dans le par-dessus de milieu de viole, a trouvé une solution originale. Un ancien collègue s'est fait détacher dans une ONG. Preuve qu'il existe d'autres chemins. Et on en revient à Nono, Lorca et le mur de Tolède.


 
Celsius42
01-04-10 à 18:25

Re: 5000 agrafes

"L'éternité, c'est long... Surtout vers la fin."
Franz Kafka.

 
schlopotok
01-04-10 à 18:32

Re: 5000 agrafes

Pour moi ça c'était du Desproges. Tu as la référence chez Kafka?

 
schlopotok
01-04-10 à 21:59

Re: 5000 agrafes

Oui, j'ai vu, il y a plein de références sur le net. Mais dans l'oeuvre de Kafka, c'est où?
Ca me semble tellement éloigné de ce que j'ai pu lire de Kafka que ça me perturbe. J'en profite pour ressortir le volume 2 de l'intérgale dans la Pléïade qu'on m'a offerte pour mon petit Noël, parce que j'en suis resté aux romans. Et faut que je finisse le dernier Pynchon, commencé depuis un an. Et que je bosse ma clarinette, que je me prépare pour les 24h du Mans roller, que j'up ma magicienne 43...
Raaaahhhh!

 
Celsius42
02-04-10 à 21:09

Re: 5000 agrafes

Je n'ai lu que la métamorphose et la lettre au père de Kafka. Pour la citation, j'ai cherché dans google, parce que je me la rappelais et ne voulais pas faire d'impair.

 
sarah-k
06-04-10 à 01:18

5000 agrafes

Et bien justement, c'est cela qui peut faire peur : ce qui paraît une éternité arrive à son terme au bout d'un certain temps.
Je me souviens pendant l'hiver 86 (je crois) fut érigé près de Beaubourg, une horloge qui devait compter les secondes jusqu'à l'année 2000.....
Je me disais, l'année 2000 , c'est très loin, je n'arrivais pas à me projeter dans l'année 2000, je n'avais aucune idée de l'année 2000.
Bon, dédramatisons, tout va bien (on n'en a repris pour 10 ans ) et je crois que l'horloge a disparu en 96 (enfin, je crois)

 
sarah-k
06-04-10 à 01:23

5000 agrafes

"L'éternité, c'est long... Surtout vers la fin."
Trois personnes auraient pu dire cette phrase, Pierre Desproges évidemment, Pierre Dac aussi, Woody Allen aussi.
sans doute d'autres aussi... Kafka, j'hésite , je ne crois pas.