Rolande Mafflu arriva, le souffle court, sur le pallier. Dans un dernier effort, elle hissa son caddie et le traîna jusqu'au paillasson.
Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas croisé monsieur Galimier. Pourtant, ce n'était pas encore la saison de sa cure: il lui faudrait attendre encore quelques semaines avant de voir ce charmant septuagénaire s'absenter quinze jours en lui confient le sac de croquettes de Gnafron, son affreux clébard. Bah! au moins en était-elle quitte pour un peu de calme, temporairement épargnée par l'érudition éruptive de son voisin, gutturalement assénée aux heures où sévissent les jeux radiophoniques dits "culturels", et qui ne manquait jamais de lui valoir quelques récriminations bienveillantes de la vieille dame.
Elle éplucha son chou-fleur de midi et alluma le feu sous la cocotte, puis ouvrit son courrier. Tiens! Une lettre de Martin! Elle décacheta l'épaisse enveloppe kraft, et en retira un petit mot de son écriture toujours parfaitement lisible et régulière - quoique parfois trop fine à ses yeux, accompagné d'un document d'une cinquantaine de pages.
Son petit-fils, fonctionnaire à la Commission Européenne, faisait souvent appel à elle. Discret, apprécié de ses supérieurs, il apportait à son institution une réflexion toujours recherchée, emplie d'un bon sens populaire qui faisait semble-t-il défaut à nombre de ses confrères. Et une fois de plus, c'était sur elle qu'il comptait pour avoir un éclairage sur un texte controversé.
Fallait-il, oui ou non, s'appuyer sur des coûts moyens incrémentaux de long terme pour asseoir la rémunération fixe des exploitants de salles de spectacle mettant leurs locaux à la disposition des chambres de commerce lors d'élections catégorielles locales?
Raymonde se cala confortablement dans son fauteuil et commença la lecture du mémoire présenté par le lobby sucrier. Le ton était plus polémique qu'à l'accoutumée, et laissait présager des débats passionnés. Elle se plongea dans le copieux argumentaire. Après tout, le chou-fleur pouvait attendre.