Kim Il Pho n'avait pas choisi son nom au hasard, et nul ne se serait permis de ne pas le prendre au sérieux.

Fernand Béchu était en effet le grand luminaire du potage aux nouilles déshydraté en sachets. Son empire souterrain s'étendait sur une superficie sans commune mesure avec celle du schizophrène pays dit "du matin calme", dont ses productions étaient censées provenir sans intermédiaire ni agent conservateur.

Seulement voilà. Les usines de Fernand se trouvaient dans la Nièvre, et ses laboratoires de recherche non loin de Charleville Mézières. Toutefois, tout, dans le conditionnement de ses produits, était fait pour donner le change. Depuis les illustrations criardes, manifestement d'un goût encore plus étranger que celui de Marais, jusqu'aux étiquettes autocollantes rédigées dans un franglais très approximatif par des stagiaires indiens, traduisant prétendument des informations écrites dans une langue coréenne d'autant plus incompréhensible qu'elle était l'oeuvre de Madame Béchu mère, s'inspirant de photos prises à la va-vite à l'aéroport de Pyongyang. La touche finale consistait en une subtile pulvérisation d'effluves de durian enlevant au plus sceptique ses derniers doutes quant à l'origine du produit.

Malheureusement, force était de constater que les ventes, qui n'avaient jamais été particulièrement reluisantes, étaient en chute libre. Rien n'y faisait, pas même les incessants changements de recettes proposés par des services de recherches toujours à l'affût de nouvelles manières d'agrémenter des stocks d'engrais balte reconditionné qui donnaient à toute la gamme son fumet si particulier, et aux coûts de production leur niveau si particulier lui aussi.

Kim Il Pho lui même entra dans le saint des saints, la salle des cuves où s'effectuait la phase la plus délicate de la fabrication, et contempla le coeur de son empire. C'était beau, très beau. Et il se prit à rêver d'un hypothétique jour futur où, la réglementation ayant évolué, il ne se verrait plus contraint de dissimuler cette opération et pourrait enfin faire admirer les installations qui étaient la fierté de toute une entreprise.